Duesenberg (1913-1937)
Publié par Philippe Baron le 22 septembre 2014.
Au Salon de New York en octobre 1928, l’apparition de la Duesenberg J fait grand bruit. Du haut de ses 265 chevaux et ses 190 km/h, elle fait pâlir d’envie les autres automobiles de prestige de l’époque dont les meilleures qui s’accommodent encore de 110/120 ch et de 140 km/h en pointe. La Duesenberg J est la plus puissante, la plus rapide et la plus nerveuse de son temps mais elle est aussi la plus chère de toutes. Alors que le prix d’une modeste Ford A s’affichait à peine à 500 $ en 1929, le prix du seul châssis nu s’établissait à 8 500 $ et toute carrossée, elle était vendue entre 15 000 et 20 000 dollars.
La Duesenberg J est apparue au moment où les ‘roaring twenties’ (nos années folles) connaissent leur apogée, un an avant le krach boursier d’octobre 1929. Mais cette crise n’affectera pas ceux qui disposaient encore d’une fortune colossale comme George Whittell, Howard Hughes, l’avionneur mégalomaniaque, ou W.R Hearst, magnat de la presse caricaturé par Orson Welles dans Citizen Cane. La Duesenberg J sera également la voiture de prédilection pour de nombreuses têtes couronnées, les magnats du pétrole ou les stars naissantes du cinéma. La Duesenberg J sillonnera les boulevards d’Hollywood avec au volant, un Clark Gable, un Gary Cooper, une Mae West, un James Cagney ou encore une Greta Garbo.
La plupart des Duesenberg J et SJ présentait une proue identique caractérisée par cette monumentale grille de calandre et ce pare-chocs à double lame, cintré dans sa partie supérieure. Un dessin imposé par l'usine qui veillait à ce que ses modèles respectent cette identité esthétique.
Le succès de la Duesenberg J est largement attribué à Errett Lobban Cord, un génie de la vente qui s’est distingué à Detroit comme le plus jeune vendeur d’automobile du pays. A l’âge de 20 ans, l’homme était déjà millionnaire mais il ne se contera pas de la production des autres. En 1924, il réussit à relancer la marque Auburn vouée à la faillite et à en prendre le contrôle peu de temps après. Entre 1926 et 1929, E.L Cord va édifier un véritable empire industriel implanté dans de multiples activités, de l’automobile à l’aviation, en passant par la carrosserie industrielle et les appareils domestiques comme les machines à laver.
En 1926, la firme Duesenberg, créée par les frères Frederick (1876-1932) et August Duesenberg (1879-1955), tombe dans son escarcelle alors qu’elle se retrouve au bord du gouffre. Les frères Duesenberg sont nés en Allemagne à Lippe et ont émigrés très jeunes aux Etats-Unis. Ils débutent en tant que fabricants de cycles mais font faillite en 1903. Ils ouvrent peu après un garage à Des Moines dans l’Iowa où ils construisent un prototype de voiture 2 cylindres. Une société de la ville, Mason, s’y intéresse et décide de le construire sous son nom, les Duesenberg agissant en tant que conseillers techniques.
En parallèle, les frères pensent à la compétition et conçoivent pour Mason une voiture de course quatre cylindres qui participera à Indianapolis en 1913 mais sans grand succès. Et puis, fin 1913, Mason change de direction et décide d’abandonner les courses. Les frères Duesenberg fondent alors la Duesenberg Motors Inc. à St Paul (Minnesota).
La nouvelle usine se consacre aux moteurs pour voitures et pour la marine. Les voitures de course Mason sont alors rebaptisées Duesenberg. La réputation de Duesenberg grandit et des hommes d’affaires new-yorkais fondent une nouvelle société, la Duesenberg Motors Corporation à Elisabeth dans le New Jersey où y sera construite une nouvelle usine (1917) dans laquelle des moteurs et des voitures de course sont fabriqués. Pendant le Première Guerre mondiale, l’usine d’Elisabeth se consacre aux commandes militaires, moteurs d’avions et pièces pour tracteurs d’artillerie. L’Armistice arrêtera ces activités.
Par la suite, une nouvelle société, la Duesenberg Automobile & Motor Corporation, s’installe à Indianapolis. Une bonne partie de son activité est consacrée à étudier, construire et faire courir des voitures de course. Ces voitures sont performantes et obtiennent d’excellents résultats aux Etats-Unis. Elles brillent aussi en Europe, comme au Grand Prix de l’ACF 1921 où participent quatre Duesenberg. Ce sont des huit cylindres (63.5 x 118) de trois litres, 1 ACT, développant 120 ch à 4.000 tr/mn, deux carburateurs. Elles ont des freins sur les quatre roues, mais ceux des roues avant sont à commande hydraulique. Les résultats sont excellents, la firme américaine remporte les 1°, 4° et 5° places.
L’année précédente (1920), les frères Duesenberg avaient installé dans un châssis deux moteurs huit cylindres de 4,9 litres, en parallèle, sans boite de vitesses mais avec embrayages et ponts. La puissance totale atteignait 230 ch à 4.200 tr/mn. Avec une carrosserie profilée, l’engin battait en avril 1920 le record mondial de vitesse à 250,6 km/h. Il ne sera cependant pas reconnu en Europe car, à l’époque, les procédures américaines et européennes divergeaient.
Au cours des années vingt, Duesenberg construit des voitures de course et livre aussi de nombreux moteurs de compétition à d’autres constructeurs ou à des sportifs construisant leurs propres machines. Parallèlement aux voitures de course, les frères étudient une voiture de tourisme. Présentée en fin 1920, elle sera livrée à partir de 1922. Ce modèle A est une voiture de grand luxe rapide. Son moteur est un huit cylindres de 4.286 cm3 à 1 ACT, développant 88 ch. Le freinage est hydraulique sur les quatre roues. Selon le poids de la carrosserie, sa vitesse maximale varie de 100 à 120 km/h. Environ 600 exemplaires seront produits.
En 1926, le président d’Auburn, Errett Lobban Cord, rachète l’affaire Duesenberg et charge Frederick Duesenberg de construire une super voiture capable de concurrencer les meilleures et les plus chères voitures européennes de grand luxe. En attendant la concrétisation du projet, on replâtre la Model A qui devient la Model X mais qui n’aura pas de succès. On n’en fera guère plus d’une douzaine. Et c’est donc au Salon de New York 1928 que le nouveau modèle, le Model J, est présenté.
Le moteur est un magnifique huit cylindres en ligne de 6.885 cm3, à 1 ACT et quatre soupapes par cylindre, il développe 265 ch. Il est construit chez Lycoming qui appartient au groupe de Cord et construit les moteurs d’Auburn ainsi que des moteurs à vendre à d’autres constructeurs et des moteurs d’avions. Le châssis est classique, un peu souple pour la puissance, la boîte a trois vitesses et les freins sont hydrauliques. Avec une carrosserie légère, la vitesse atteint 175 km/h. Le châssis de l’engin est très cher, et seuls des carrossiers de grand luxe y travaillent. Aussi la facture finale est explosive. La Duesenberg J est bien reçue, les ventes sont bonnes jusqu’au krach de Wall Street en fin 1929 puis elles ralentissent, 360 châssis sont vendus jusque fin 1931.
Peu après, August Duesenberg monte un compresseur sur la J, le moteur donne alors 320 ch qui devient le Model SJ. Cette SJ sera construite à une quarantaine d’exemplaires. Malheureusement, Frederick Duesenberg décède d'une pneumonie (suite d'un accident au volant d'une SJ) le 26 juillet 1932, à 56 ans. La production est arrêtée en 1937 lors de la liquidation du groupe Cord. Il y aura eu en tout 480 exemplaires de Duesenberg Model J / Model SJ.
August Duesenberg sera mêlé à un essai de renaissance de la marque en 1947 mais cela ne donnera rien, il décédera en 1955 à 77 ans. En fin 1963, le fils d’August, Fritz, fonde la Duesenberg Corporation pour relancer la marque. Une carrosserie est exécutée en Italie chez Ghia, sur un dessin de Virgil Exner, le moteur étant un V8 Chrysler de 7.2 litre et 425 ch, la vitesse atteint 240 km/h mais l’affaire périclitera en 1966, un seul exemplaire sera construit. La Duesie (tel était son surnom) symbolisera pour toujours l’ambiance tumultueuse d’une décennie qui a voulu repousser toutes les limites.
Visite du Musée Auburn - Cord - Duesenberg